Interview de Makyo, Exauce-nous

Makyo commence à se faire connaître fin des années 70 avec des séries pour la jeunesse : Gully (dessiné par Dodier), les Bogros, publiés dans le journal Spirou, puis Jérôme K. Jérôme Bloche (dessiné par Dodier) et Le Roi Rodonnal, une fantaisie inspirée par le classique Little Nemo. Mais c’est avec la série mêlant aventure et fantastique, Balade au bout du monde, qu’il connaît un grand succès. Cette série, créée en 1981, sera illustrée parVicomte puis Hérenguel et enfin Faure. Avec ce dernier, il animera la série Elsa. Makyo a donné naissance à de nombreuses séries tout au long de sa carrière : Grimion gant de cuir (Glénat, 1983), Le Jeu de Pourpre (sur un dessin de Rocco, Glénat, 1994), Le Cœur en Islande (Dupuis, 1996) qu’il réalise en solo, Qumran avec Gemine au dessin… Que ce soit comme auteur complet ou scénariste, Makyo aime varier les thèmes et renouveler ses plaisirs de fin conteur, attaché à la psychologie de ses personnages. Du policier à la chronique paysanne, du fantastique à l’humour, son oeuvre se révèle en tout point personnelle et témoigne d’une grande imagination.

Dans le cadre du Prix BD, Une Case en Plus (cf.note en bas d'article), les élèves de troisièmes du lycée professionnel Washington du Mans rencontrent Makyo, pour son dernier album intitulé Exauce-nous.



Voici la retranscription de cette rencontre animée, le jeudi 25 mars 2010.

Quel est votre parcours ?
J’ai commencé par être dessinateur, j’aimais beaucoup dessiner quand j’avais votre âge, je dessinais beaucoup, je lisais beaucoup de bandes dessinées, surtout des revues, Tintin, Spirou que j’aimais beaucoup, Pilote. Je voulais faire de la bande dessinée, j’essayais de bricoler des histoires. Mais ces histoires n’étaient pas terribles ! C’est assez long et compliqué pour devenir scénariste car il faut avoir vécu un certain nombre de choses pour pouvoir en parler, avoir un peu voyagé, avoir beaucoup lu, emmagasiner des expériences et de la culture pour pouvoir nourrir les histoires à venir. Evidemment à seize ans, on n’a pas encore assez de vie et de matériau pour inventer des histoires. Donc, je bricolais des histoires qui n’avaient aucun intérêt et je les envoyais au Journal de Spirou et Tintin. Je me suis fait refusé mes histoires pendant 8 ans, on me disait : arrêtez ! Vos histoires sont nulles, n’ont aucun intérêt etc… Donc j’ai commencé à dessiner. Le début de ma carrière de scénariste, en fait c’était autour de 17/18 ans, un autre dessinateur m’avait demandé de lui faire une histoire. Donc j’ai écrit cette histoire, 6 pages, bien tapées à la machine –ce que je ne faisais jamais pour moi- J’étais assez fier de moi ! Je lui apporte, il me dit « raconte moi l’histoire », « ben elle est là, elle est tapée, t’as qu’à la lire », « non, raconte la moi ! » insiste-t-il. En racontant l’histoire, en retrouvant l’attitude du conteur, je me rends compte que cette histoire est nulle. J’ai repris mes feuilles en prétextant des changements et je suis parti le pus vite possible. J’ai commencé à penser qu’il fallait commencer non seulement à s’amuser à raconter des histoires mais aussi respecter des règles qui finalement sont assez sophistiquées. Quand vous lisez une histoire ou regardez un film, tout à l’air simple et facile pour vous, mais le travail de mise en place et la dramaturgie sont derrière très importants.

Pourquoi avoir choisi comme pseudo Makyo ?

Je m’appelle en réalité Fournier. Quand j’ai commencé la bande dessinée au journal de Spirou, il y avait déjà un auteur qui se nommait Fournier qui faisait d’ailleurs les aventures du personnage de Spirou d’ailleurs. Alors j’ai choisi Makyo, c’est un terme japonais qui vient de la pratique de la méditation zen. Je me suis dit, c’est compliqué, personne ne va me copier !

Avez-vous des origines ?

-Oui, bien sûr ! Qu’est-ce que tu veux dire par des origines ?

-Vous n’êtes que français ?

-Oui, mais j’ai la double nationalité dunkerquo-sarthoise ! Je suis n é à Dunkerque, j’habite dans la Sarthe et je parle les deux langues.

-Ben c’est le français alors ?

-Exact !

Est-ce que vous avez un autre métier qu’auteur ?

Mais qu’est-ce que tu crois ! C’est un sacré boulot d’écrire des histoires ! Je travaille 8 heures par jour sur ce métier là! C’est mon unique métier. J’écris des scénarios pour des dessinateurs, actuellement pour sept dessinateurs. L’imagination, c’est un muscle. Avec l’expérience, on y arrive mais il faut trouver des idées ! Ce n’est pas toujours simple avec toute la production de films, de livres, de séries télés qu’il ya actuellement … La difficulté, c’est de se renouveler, de trouver des idées originales. Je me demande toujours si l’idée que j’ai n’a pas été déjà utilisée. On dit souvent pour le scénario « tout a été fait, mais tout reste à faire ». Beaucoup de choses ont été faites mais l’imagination est infinie et dans 1000 ans on inventera encore des histoires !

Avez-vous habité dans le vieux Mans ?

Non, je n’y ai pas habité mais j’y vais souvent car il y a la librairie de bande dessinée où je vais de temps en temps vérifier que mes albums soient bien exposés ! J’aime bien cet endroit, il est marqué par l’époque moyenâgeuse et en même temps il est contemporain. C’est un endroit assez intéressant pour en faire le cadre d’une bande dessinée.


Comment avez-vous eu l’idée de situer le récit dans le vieux Mans et à la Chartre sur le Loir ?

J’habite pas loin de la Chartre, dans le village de Courdemanche. Quand je fais une histoire, j’ai besoin d’imaginer les lieux où l’action va se dérouler, de situer les déplacements des personnages, de connaître leurs déplacements… Je fais souvent ça par rapport aux endroits que je connais. C’est difficile d’inventer une histoire sans décor.

Pour cet album, j’ai emmené le dessinateur dans le vieux Mans. On part avec le scénario et on fait des repérages : ce serait bien que telle action se passe là, on va faire ceci là… etc. Le dessinateur fait des photos. Après, pour mettre en scène, il choisit telle photo et il peut la bricoler, il enlève quelque chose qui le dérange, rajoute quelque chose qui l’arrange suivant la mise en scène qui l’intéresse. C’est bien d’avoir un décor mais on n’est pas prisonnier de cela, on peut s’amuser et construire des choses avec le décor. On n’est pas tenu à une rigueur historique ou mathématique !

Comment vous est venue l’idée de cette histoire ?

En réalité, j’ai travaillé beaucoup sur les contes. Cette histoire est un conte, avec du magique, du merveilleux, ce personnage simple d’esprit qui exauce les souhaits, c’est à la fois possible et impossible. J’ai construit cette histoire comme un conte. Le conte est l’origine de toutes les histoires. Quand vous lisez un livre ou regardez un film qui vous absorbe, il se passe quelque chose de fantastique dont vous ne vous rendez même pas compte ! A u moment où le film commence, il se passe quelque chose qui vous échappe ! Dès l’instant où les premières images apparaissent, vous vous oubliez vous-même, vous disparaissez ! Vous oubliez jusqu’à votre propre existence, c’est quand même incroyable ! Ce phénomène d’oubli de soi même n’arrive que quand vous dormez ou quand vous prenez de la drogue –ce que je vous déconseille… comment est-ce possible d’oublier sa propre existence pour rentrer dans une histoire ? Comment peut-on admettre de devenir totalement le personnage de l’histoire ? C’est un phénomène 100 % magique ! Ce phénomène de l’identification au héros, c’est le moteur de toutes les histoires. S’il n’ya avait pas ce processus d’identification au héros, il est probable qu’on ne pourrait pas lire un roman, regarder un film. Ce phénomène obéit à des règles anciennes qui correspondent au fonctionnement de notre esprit.

Dans les contes, en schématisant, on peut dire qu’il ya toujours le roi, la princesse, le héros, le dragon. Cette structure, on va la trouver dans bien des histoires, que ce soit un roman policier ou fantastique… etc. Il ya un héros, un roi qui peut être représenté par une autorité, un chef, un gouvernement… la princesse, ce n’est pas forcément une fille ! C’est une qualité, ça représente toujours la chose précieuse quia été volée, dérobée. Le dragon, ce sont les forces négatives. Le roi mandate le héros qui doit adhérer à la demande du roi, il doit en général aller délivrer la princesse ou retrouver un trésor perdu, il dit oui au roi mais il doit y croire ! Il ne sait pas où aller, comment combattre le dragon, mais il est obligé d’accomplir cette quête, et en chemin, il va rencontrer des gens qui vont l’aider…etc.

Ce qui fait fonctionner les histoires, c’est la détermination du héros ! Il faut qu’il soit déterminé à au moins 75 % pour réussir ! Pour nous aussi, c’est notre détermination qui nous fera réussir. C’est la qualité du héros qui faire que le problème va se résoudre et qui fait que vous pouvez vous identifier à lui.

A l’intérieur de notre esprit, il ya aussi un roi, un héros, une princesse, un dragon. La princesse, c’est notre énergie, le roi, c’est notre pôle de jugement ; le héros, c’est celui qui passe à l’action… quelle que soit votre ambition, en fonction de votre détermination, vous allez réussir. Si vous voulez devenir chanteur à 100 %, c’est sûr, vous allez réussir. Quel que soit votre projet, essayez de mesurer votre niveau de détermination. A quel point je veux ça ?

Exauce-nous est construit comme ça. Le héros, c’est Frank, le dragon, c’est qui ?

-Les trafiquants de drogue !

-La princesse ?

-C’est Léonard !

-Le roi, ce sont tous les gens qui sont dans le café et qui encouragent Frank qui n’a pas d’inspiration à écrire sur Léonard. Frank commence donc son enquête sur Léonard, il cherche, découvre le pouvoir de Léonard. Exauce nous est vraiment construit comme un conte !

Comment avez-vous trouvé le titre Exauce-nous ?

Exauce-nous, c’est le fondement de toutes les prières, quand on s’adresse pour ceux qui croient à un dieu, on attend que ce souhait soit réalisé par Dieu ou une transcendance quelle qu’elle soit. J’aimais bien cette idée que l’on a tous des souhaits, des envies, et on espère tous qu’on va réussir à les réaliser ou alors que quelque chose de mystérieux va nous aider à les réaliser. Ce titre est fondamental : on espère tous que nos souhaits un jour soient exaucés. Dans l’histoire, Frank a le projet de faire un film, même si pour lui ça ne marche pas quand il formule son vœu à Léonard, malgré tout il va finir par arriver à le faire tout seul ! La dernière case, c’est lui qui fait son film. En réalité, moi-même, j’espère aussi que mon souhait sera exaucé. Car en fait, cette histoire est un projet de film, j’espère trouver un producteur et réaliser ce film l’an prochain dans le vieux Mans ! C’est une sorte de demande d’exaucement en cascade et en abyme !

Avez-vous déjà des acteurs ?

Bruno Locher, Bruno Salomon, François Berléand, Jean-Luc Lemoine, peut être Danielle Darieux pour Victorine- ce serait bien- et Nora Arnezeder qui jouait dans Faubourg 36 un film qui n’a pas eu trop de succès…je ferais appel à vous pour les figurants bien sur !

Avez-vous des points en commun avec votre personnage Frank ?

C’est une bonne question… J’ai effectivement quelques points en commun avec lui ! Frank est scénariste, je me suis amusé à prendre comme héros un scénariste en panne d’inspiration. C’est parfois mon cas… Il m’arrive de commencer à travailler sur un nouveau projet le lundi, et vendredi, je n’ai rien écrit du tout, je me tape la tête contre les murs et je me dis : je suis nul, j’aurais du faire un autre métier… Et là, samedi, petit miracle, j’ai une idée et là je me trouve génial ! Avec le temps, j’ai appris à travailler avec moi-même et à ne plus manquer de confiance.

Quel est ce poème qui est dans l’enveloppe bleue remise à Victorine à la fin ?

Khalil Gibran a demandé que ce poème qu’il a écrit soit mis sur sa tombe. C’est le poète qui parle de la manière dont il voit sa propre mort. Même si la mort reste un mystère absolu, lui prétend avant même de mourir qu’il sait ce qu’il va devenir quand il sera mort. Certes son corps va disparaitre mais quelque chose de son esprit va continuer à vivre dans la nature, les ruisseaux, le vent… C’est donc un poème qui parle de la possibilité de continuer à vivre autrement après la mort. J’avais beaucoup aimé ce poème, j’ai trouvé que cela faisait une conclusion assez belle pour toute cette histoire qui est basée sur quelque chose d’assez mystérieux aussi.

Comment avez-vous trouvé le dessinateur Bihel ? Vous le connaissiez ?

Je le connaissais, j’aimais bien son travail, il avait travaillé chez Glénat, le même éditeur que moi. Il travaille en couleurs directes, c’est à dire qu’il colorise directement sur l’original. Ses dessins sont très vivants, très expressifs, ils dégagent quelque chose d’assez humain.

Je lui ai donc proposé mon scénario et il a été d’accord. Il travaille aussi actuellement sur un autre scénario de film que j’ai écrit, une comédie, qui va devenir aussi une bande dessinée d’environ 100 pages.

Combien d’argent avez-vous gagné avec ce livre ?

On a vendu 8 000 exemplaires de cet album qui est vendu 20 euros. On touche 10 % du prix hors taxe à diviser par deux ! A vous de calculer ! Bon allez, environ 4000 euros chacun.

C’est tout ??

On a été payé aussi avant la publication. En tant que scénariste, je suis payé 120 euros la page, il y avait 100 pages…donc 12 000 euros. Le dessinateur est payé 300 euros la page, c’est plus mais c’est légitime car il a mis environ 1an ½ pour tout dessiner. En même temps, on aurait pu vendre 80 000 exemplaires de ce titre ! C’est ce qui est intéressant dans ce travail, c’est un métier où on peut gagner soit le smic soit le jackpot ! Ma première histoire, j’ai été gâté, j’en ai vendu 200 000 exemplaires par volumes, j’ai gagné pas mal d’argent… ça dépend des albums, de leurs succès.

Avez-vous des enfants ? ont-ils lu vos livres ?

Ma fille qui a à présent 25 ans, ne s’intéressait pas vraiment à la bande dessinée. Quand elle était en terminale, ses copines aimaient la bande dessinée, alors elle s’est intéressée à ce que je faisais !

Question de l’auteur aux élèves : Est-ce que vous pensez que c’est possible que quelqu’un puisse exaucer les souhaits ?

Non !

Donc il n’ya que moi ici qui pense réellement que c’est possible ! Pourtant ça se passe tout le temps, on appelle ça des hasards. Vous avez un projet quelconque et vous allez lire quelque chose ou rencontrer quelqu’un qui va vous aider ou vous aiguiller… Ces petites choses ont quelque chose à voir avec ce qui exauce les souhaits. De la même manière qu’il ya un secret qui vous fait disparaître quand vous regardez un film, je pense qu’il y en a un autre dans la façon dont parfois les choses viennent nous aider. Et encore une fois, cela à a voir avec votre détermination qui est une énergie, quelque chose de vivant. Si vous êtes déterminés à 80 % sur un projet, vous allez développer une énergie forte qui va attirer des énergies qui correspondent… C’est un peu magique. Dans les contes, le héros a cette capacité d’attirer à lui des éléments qui vont l’aider. Dans la vie, c’est pareil ! Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée personnellement. A un moment donné, je m’interrogeais sur la technique pour raconter des histoires et je cherchais un livre sur les contes soufis. Le soufisme, c’est l’ésotérisme de la religion arabe. Je vais à la Fnac à Paris, au rayon correspondant. Je prends un livre au hasard « la vie merveilleuse de Dhu i nun l’égyptien », l’histoire un moine soufi du 12ème siècle. Je rentre chez moi, j’ouvre le livre. Dedans, je trouver un papier, une photocopie du début d’un conte de Grimm avec marqué à la plume en bas « si vous désirez connaître la fin de ce conte ; cher ami inconnu, appelez tel numéro ». Je fais le numéro et je tombe sur un répondeur qui me dit « vous êtes branché sur la Voix des contes, il existe un travail pour comprendre comment fonctionne les contes et…» Donc j’ai pris rendez vous et je suis allé rencontrer la personne qui s’occupe de cette association « pourquoi avez-vous mis ce papier dans ce livre ? Pour provoquer ce genre de rencontre ! » J’ai travaillé deux ans avec ce monsieur et ça a complètement changé ma vision des histoires. Ceci pour dire que le merveilleux existe !

Les élèves lisent les textes qu’ils ont écrits à partir de l’album

Makyo est enthousiaste à la lecture des lettres, il souhaite les emporter pour les garder.

« C’est formidable pour moi d’avoir ces lettres là, je vois à quel point l’histoire a été comprise, c’est important d’avoir ce retour pour un auteur. Je suis très touché de ces lettres, c’est vraiment un écho formidable, c’est une histoire que me tient beaucoup à cœur, que j’ai construit patiemment et de voir ces lettres…. Merci beaucoup ! »


(*) Une Case en Plus : projet inter établissement élaboré par un groupe de documentalistes de la Sarthe s'adressant aux élèves de 3ème et 2nde, amenant les élèves à voter pour leur album préféré à partir d’une sélection proposée de 10 albums. L'idée est que le prix lance une dynamique dans les établissements scolaires, permettant de favoriser des animations et séquences pédagogiques pluridisciplinaires autour des 10 albums sélectionnés. 19 établissements ont participé à ce projet en 2010. pour en savoir plus, cliquer ici

Interview de Jean-Claude Mézières

Interview réalisée en public lors du café BD du samedi 20 mars 2010, Le Mans. Extraits (une partie de la bande son est hélàs inaudible)


Comment qualifieriez vous votre dessin ? Réaliste ou fantaisiste ?
Je suis incontestablement parti d’un dessin humoristique. Les grands maîtres, ce sont Franquin et Moebius. Mais j’ai aimé mélanger les styles. Mes influences sont diverses. Mon amitié va pour Jijé et son style de dessin que j’ai adoré -grands aplats noirs, personnages réalistes- c’était une tentation. Mais je ne suis pas un dessinateur réaliste et en plus, je n’aime pas dessiner la réalité. Ne me demandez pas de dessiner des bagnoles de courses, des avions, ou des chars d’assaut, c’est pas mon truc ! Par contre, je peux créer des chars d’assaut avec des formes très bizarroïdes. Je crois que mon dessin est au départ humoristique. Mais, pour la réussite de récits où il faut tout raconter, montrer des univers qui n’existent pas, qu’il faut rendre crédible, j’ai été poussé vers un certain réalisme. Mon dessin est donc humoristique qui tend à devenir réaliste ! Chacun exploite ce qu’il a envie avec son propre dessin. On ne dessine pas ce qu’on a envie dans la tête, on dessine ce qui arrive à sortir du crayon !

Est-il vrai que vous vous êtes inspiré pour les traits de votre personnage Valérian du chanteur Hugues Auffray ?
C’est vrai, ce n’est pas une légende ! Mon camarade Giraud s’est inspiré de Belmondo pour son Blueberry. Ca se voit au début. Moi, j’avais trouvé dans un magazine, peut être Salut Les Copains, une double page avec plein de photos du visage d’Hughes Auffray, avec plein d’expressions différentes et des cadrages divers.Ca m’aidait d’avoir ce modèle. Bon, je ne lui ai jamais dit, je ne l’ai jamais rencontré. Il verrait sa gueule dans les premières pages, il ne serait pas content !

J’aime beaucoup certains de vos titres, très évocateurs (Métro Châtelet- direction Cassiopée et Brooklyn Station terminus Cosmos), qui mêle le quotidien et l’inatteignable , le trivial et le rêve sur les étoiles. Comment choisissez-vous ces titres ?
Ah les titres, c’est Christin ! Sauf peut être au départ, je crois qu’il m’avait proposé « Métro Châtelet, correspondance Cosmos ». Je lui ai dit « Ah, ça, c’est trop long » je voyais déjà ça sur la couverture…
Autrefois, le sous-titre mentionnait « une aventure de Valérian, agent spatio-temporel », ce sous titre à partir du vol 40 intègre Laureline. C’est un effet de la parité, une reconnaissance a posteriori de l’importance de ce personnage ou une demande de l’éditeur pour faire les yeux doux au nouveau public féminin… ?
C’est vrai, on a démarré avec « Valérian, agent spatio-temporel ». Quand j’ai fait le bandeau au dessus de la première page de Pilote, je n’avais même pas encore dessiné Laureline. Elle n’existait pas, elle était encore dans l’encrier ! Alors, bien sûr, on n’avait pas d’idées précises. Maintenant Laureline a dépassé le prestige de Valérian qui n’est pas dans le placard mais parfois de côté dans certains albums. C’est tellement plus rigolo de raconter les choses vues par Laureline. Valérian, c’est le brave garçon employé de Galaxity, payé par le gouvernement. Laureline elle, c’est une rebelle et quand elle n’est pas d’accord avec le gouvernement, elle le dit !

La science fiction est un biais détourné mais formidablement stimulant pour parler de notre époque. La grande force de Valérian est d’avoir su amener au cœur même des intrigues des grands sujets de société (menace nucléaire, méfaits du capitalisme, écologie, manipulation des medias, colonisation…). Est ce une bonne définition pour vous de la série et de la science fiction : de l’action, de l’exotisme, de l’étrange, mais aussi de la réflexion, de la critique ?
Ce serait plutôt une question pour Christin ! Mais oui, Valérian aborde des grands sujets de société. Au passage, vous remarquerez une certaine similitude entre les scénarios de Bienvenue sur Aflol et Avatar. C’est exactement la même démarche sur le colonialisme. La science fiction peut effectivement agir comme une force de critique sociale. Mais, c’est pas du militantisme, on va pas monter un mouvement « Valérian et les Verts libèrent les forces nouvelles de la République » !

Vous avez reçu en 1984 le grand Prix de la ville d’Angoulême, ce qui est une reconnaissance importante du milieu de la bande dessinée. Est-ce que ça a changé votre rapport à la bande dessinée ?
Le Prix n’a rien changé pour nous ! A part que vous êtes contents, surtout quand ce sont les pairs, les collaborateurs, les professionnels qui vous le donnent… On peut être aussi Grand Prix et ne pas bien vendre. Ca ne booste pas forcément les ventes. C’est pour ça aussi que ce prix existe : reconnaître les talents et pas forcément les tirages.

L’Ouvre temps clôt la série et une trilogie entamée il y a 8 ans. C’est un peu comme un final de théâtre : de nombreux personnages de la série font leurs adieux dans cette ultime apparition, même si on comprend bien que rien ne finit jamais puisque ce final est aussi une ouverture, et qu’une nouvelle vie s’offre aux deux personnages. Et puis, Christin adapte Valérian en roman, il paraitrait que Besson penserait à un film pour Valérian, la série s’arrête mais une autre vie pour Valérian commence !
Oui, Christin adapte Valérian en roman pour la jeunesse, c’est une demande des éditions Mango. Pierre s’est beaucoup amusé à raconter une histoire inédite avec les personnages qu’on connaît. Pour lui, c’était la possibilité de se mettre dans la tête des personnages au cours de l’action. Dans un scénario de bande dessinée, on montre d’abord ce que font les personnages. Là, il peut se permettre de rentrer dans la tête des personnages. Serge Lehman, un scénariste de SF très connu en France s’attaque à écrire une histoire de Valérian pour le second numéro de cette collection.
Quant à une adaptation filmique, vous savez tout le monde peut dire « j’ai des projets de cinéma » et puis, c’est comme en cuisine, vous sortez le soufflé et y a plus rien ! Bon, Besson a acheté les droits de Valérian il y a deux ou trois ans. Il construit des bureaux gigantesques du côté de St Denis, ce serait bien qu’il puisse y tourner là Valérian ! Mais on n’en sait pas plus…
Sinon, que des dessinateurs s’accaparent l’univers de Valérian pour le raconter à leur manière, ça c’est un acte de création. Ce qui est autre chose que de reprendre la série. Il y a des dessinateurs qui ont envie que ça continue longtemps malgré eux. Moi, je n’ai pas envie de laisser un dessinateur maltraiter Laureline même si je suis six pieds sou terre !

Questions du public
Que pensez vous de la bande dessinée numérique ?
Je ne vois pas l’intérêt d’une bande dessinée sur un écran d’I-pod beaucoup trop petit. Ce qui serait intéressant, c’est d’inventer une nouvelle forme de narration adaptée à l’outil. Mais mon goût, c’est la bande dessinée : les grandes tartouilles où votre œil se balade !

Quels sont vos auteurs préférés ?
Un dessinateur blanchi sur le harnais n’est pas un lecteur lambda. Quand je regarde une bande dessinée, je lis et pense en tant que dessinateur. Je ne suis pas dans un désir de lecture ! Ceci dit, j’aime Morvan et Moebius, Druillet et Bilal. C’est vrai qu’à présent, il y a beaucoup de récits de SF, ce qui n’était pas le cas il y a 40 ans.

Envisageriez vous de collaborer avec d’autres auteurs ?
C’est assez difficile pour moi. Je n’ai jamais eu d’assistant pour me seconder. Pour moi, le fantastique ou la SF, c’est une création personnelle. C’est pourquoi je ne suis pas content quand Monsieur George Lucas vient regarder un album pour reprendre un truc. Quand je dessine un astronef, je n’ai pas été le recopier dans un catalogue de Manufrance. Sinon, mélanger les talents, c’est difficile.

Pour en savoir plus sur comment Georges Lucas a pillé Valérian pour la Guerre des Etoiles, voir les nombreux articles sur le net à ce sujet.
Présentation de l'auteur lors de sa venue au Mans, cliquer ici