Rencontre avec Vanyda


Rencontre avec Vanyda, auteur de bande dessinée
avec des élèves de Première Bac Pro Transports du Lycée Washington-Touchard, Le Mans
 
Dans le cadre du Prix BD-Une Case en Plus- organisé en Sarthe depuis plusieurs années et piloté par une vingtaine de documentalistes, les élèves sont amenés à lire et travailler sur 10 albums sélectionnés puis voter pour leur titre préféré. L’an dernier, en mai 2011, c’est Celle que je ne suis pas, premier volume d’une trilogie de Vanyda qui a été élu par les jeunes de troisièmes et secondes.
Nous avons pu rencontrer l’auteur en octobre 2012, les élèves sont à présent en première mais n’ont pas oublié leurs lectures !

(Pour plus de commodité de lecture, j’ai regroupé les questions des élèves par thèmes)

 

Présentation de l’auteur ou comment et pourquoi devient-on auteur de bande dessinée ?
 -Quel âge avez-vous et depuis combien de temps faites-vous de la bande dessinée ?
-J’aurai 32 ans demain ! Cela fait 10 ans que je fais de la bande dessinée en tant que professionnelle. Mon premier album L’immeuble d’en face est sorti en 2003.
-Vanyda, c’est votre vrai nom ?
-C’est mon vrai prénom que j’ai utilisé comme pseudo car il n’est pas très courant. Je me suis dit que cela pouvait faire l’affaire ! C’est un prénom laotien.
-Vous avez des origines ?
-Oui, j’ai des origines laotiennes !
-Avant de vous lancer dans la bande dessinée, est-ce que vous avez exercé un autre métier ?
-Non ! J’ai commencé à dessiner à 6 ans. A l’époque, je ne savais pas que c’était un vrai métier. Je me disais je trouverais bien un métier et le soir, quand je rentrerais, je ferais de la bande dessinée. Et puis, quand j’ai eu 14-15 ans, je suis allée à un festival BD et j’ai rencontré des auteurs qui m’ont expliqué que c’était un vrai métier. A partir de ce moment là, je me suis dit : « c’est ce que je veux faire ! »

Je vais vous montrer un extrait de cette fameuse bande dessinée que j’ai faite à 6 ans. Voilà c’était des bonhommes bâtons, un dessin très simpliste ! C’est ça qui est bien avec la bande dessinée, c’est qu’on n’est pas obligé de bien dessiner. L’important, c’est que la narration se fasse, qu’on comprenne ce qui se passe. A l’époque, je n’étais pas encore influencée par les mangas. Après, ça été le cas ! Vous reconnaissez ça ?

-Oui, les Chevaliers du Zodiaque !
-Voilà, c’était un dessin animé qui passait à l’époque. A partir de ce moment là, je n’ai pas arrêté de copier les dessins animés que je voyais. Là, j’ai utilisé du feutre et des crayons de couleurs, vous voyez, la couleur est un peu passée… Ensuite, j’ai dessiné ça, vous reconnaissez ?
-Olive et Tom !
-Oui, c’est ça ! J’étais un peu frapadingue ! Je ne dessinais tout le temps que cela ! Regardez là, j’ai fait aussi un peu de Dragon Ball. Après, j’ai découvert la bande dessinée franco-belge et en particulier Thorgal. Je ne sais pas si elle est au CDI ?
-Oui, bien sûr !
-Ensuite, les premiers mangas que j’ai lus et qui m’ont vraiment marquée, c’était Gunm, Vidéo Girl Aï puis Akira. J’étais vraiment impressionnée par la façon de mettre en scène, par le découpage…Donc, j’ai mélangé mes influences de dessin animé, de manga avec la bande dessinée et voilà, ce que ça a donné. Voici ma première bande dessinée, un peu plus élaborée !
-Vous aviez quel âge ?
-A cette époque-ci, j’avais 10 ans ! J’en ai fait des pages et des pages…
-On peut dire que vous aviez un don ou un talent alors ?
-Je ne dirais pas que c’est un talent inné… c’est surtout qu’à force de travailler, on s’améliore.
-Vous faisiez cela en rentrant chez vous le soir ?
-Oui, et puis comme j’étais très timide et que je n’avais pas trop d’amis, j’aimais bien dessiner.
-En observant et en recopiant ?
-En recopiant surtout… même la forme des bulles, je la copiais sur Thorgal !
-Mais les histoires, vous les inventiez ?
-Oui, j’inventais mes propres histoires… Mais il y a peu de temps, j’ai relu quelques pages, c’était vraiment mauvais, complètement incohérent ! J’inventais au fur et à mesure ! Ce n’est plus du tout ce que je fais. Il vaut mieux avoir une trame générale au départ, savoir ce qu’on va raconter.
-Quel est votre parcours scolaire ?
-J’ai eu un parcours scolaire habituel jusqu’en troisième puis j’ai été en seconde Arts Appliqués. Ensuite, j’ai été réorientée en première S, on me disait que j’étais meilleure en maths qu’en dessin. J’ai donc eu mon bac S. Puis, je suis partie aux Beaux Arts en Belgique, en section BD. J’habitais Lille et juste de l’autre côté de la frontière, il y avait les Beaux Arts qui proposait une section bande dessinée à Tournai. En France, il y a peu d’écoles qui proposent une formation bande dessinée. Il y a Angoulême mais le concours d’entrée n’est pas facile ! Après, il ya des écoles privées mais c’est cher ! En Belgique, c’est moins cher et c’est plus facile d’accès. A Tournai, il n’y a pas de concours d’entrée mais une espèce d’écrémage se fait au cours de l’année. Beaucoup abandonnent en cours de route. Car ils se rendent compte que s’ils aiment dessiner, ils n’aiment pas forcément raconter une histoire. Et effectivement, ce n’est pas du tout le même métier. Dans la bande dessinée, on va dessiner le même personnage pendant des pages et des pages, il faut en avoir envie ! Certains aiment changer de style à chaque dessin. Pour nous, ce n’est pas possible sur une bande dessinée, il faut que le personnage se ressemble du début jusqu’à la fin de l’histoire. Alors, sinon, les Beaux Arts, ça dure quatre ans. Ce qui est bien là, en plus de la formation, c’est qu’on est avec des gens qui ont la même passion que vous. Vous construisez votre réseau. J’étais en relation par exemple avec des étudiants qui étaient dans les classes au dessus de la mienne, ils sont donc sortis de l’école avant moi, ont rencontré des éditeurs, ils m’ont donné les adresses qu’ils avaient, c’était bien !
 

A propose de Celle que
-Votre histoire Celle que…, est-elle autobiographique ?
-Elle est inspirée d’évènements qui me sont arrivés mais aussi de choses qui sont arrivées à ma sœur ou à mes cousines. Je suis partie de ma propre vie mais j’ai inventé plein de choses. Par exemple, Valentine ne dessine pas, mais j’ai fait de la gym comme elle. Je n’ai pas fait de club manga au lycée comme Valentine parce que ça n’existait pas encore ! En bande dessinée, on appelle ça parfois de l’autofiction, quand on part de sa propre vie pour raconter une fiction.

-Comment vous choisissez les titres ? Qu’est ce que vous vouliez dire avec ce titre qui se répète ? (Celle que je ne suis pas, Celle que je voudrais être, Celle que je suis)
-Pour L’immeuble d’en face, c’était facile. Ça se passe dans un immeuble… Pour Celle que, c’était plus compliqué. Je voulais que l’on qu’on repère bien qu’il s’agit de la même série et qu’on comprenne tout de suite qu’il y allait avoir une évolution du personnage. D’où cette déclinaison. Mais c’est un peu long comme titre ! Du coup, les gens disent souvent : la bande dessinée de Valentine. En fait, je me suis inspirée d’un manga qui portait comme titre le nom de l’héroïne et en sous titres : tome 1 : célibataire, 27 ans, tome 2 : mariée, 28 ans…etc. ça évoluait, c’est un peu le même genre d’idées. Mais ce n’est pas facile de trouver un bon titre !

-Pourquoi ce prénom de Valentine ? Y-a-t-il une référence derrière ce prénom ?
-Comme le récit est un peu inspiré de mon histoire personnelle, je voulais un prénom qui commence comme le mien ! Dans le tome trois -que vous ne pouvez pas avoir encore lu puisqu’il sort aujourd’hui-, il y a une référence à un standard de jazz My Funny Valentine. Mais ce n’est pas ça le point de départ…

-Est-ce que vous vouliez toucher un public surtout féminin ? Je dis ça aussi par rapport à la couverture…
-Parce que celle là est rose ?
-Oui, mais aussi parce que j’ai l’impression que vous parlez surtout de problèmes de filles, est ce que c’est volontaire de votre part ?
-Je ne sais pas si c’est un problème uniquement de fille d’être timide, de ne pas bien se sentir dans son groupe d’amis… je pense que ça arrive aussi aux garçons ! C’est un personnage féminin, alors peut-être est-il plus facile de se projeter pour une lectrice mais ce n’est pas une volonté particulière de ma part, je ne voulais pas faire un livre girly ! Le personnage ne parle pas de shopping ou de choses comme ça ! Bref, vouloir savoir qui on est n’est pas exclusivement féminin…
-Il y a des garçons d’ailleurs qui ont apprécié la lecture de Celle que…
-Bien sûr, et mon public n’est pas qu’adolescent d’ailleurs. J’ai rencontré un monsieur d’une quarantaine d’années qui m’a dit s’être beaucoup retrouvé dans Valentine. Lui aussi, quand il était ado, il était mal dans sa peau et n’arrivait pas à se positionner dans un groupe. Ma mère aussi m’a dit « je me suis beaucoup retrouvée ! », je pensais qu’elle parlait de la mère de Valentine mais en fait, elle voulait dire qu’elle s’était retrouvée dans Valentine…

-Et quand vous écrivez, est ce que vous ciblez votre public ?
-Pas vraiment ! Je fais la bande dessinée que j’ai envie de faire, ce sera plutôt le travail de l’éditeur de savoir à qui ça va plaire et de savoir le vendre. Moi, je ne fais pas de marketing !
Pour Valentine, après coup, je sais que ça touche plus un public ado que ma bande dessinée L’immeuble d’en face. Mais au départ, je ne me suis pas dit : « Ah, je vais toucher le public ado ! » Non, je me rappelle juste de mon adolescence, j’ai envie de dire des choses sur cette période, c’est tout !

-Pourquoi avez-vous choisi de développer le récit sur une année scolaire ?
-Parce qu’il y a beaucoup de choses qui changent dans une année scolaire ! Tout d’abord, tout est bouleversé en début d’année, vous n’êtes pas dans la même classe, avec les mêmes personnes que l’an dernier, vos habitudes sont transformées… et c’est aussi cela qui permet d’évoluer. Valentine est dans un groupe très soudé au départ, mais qui tourne un peu en rond, sur lui-même. Le fait qu’elle doive changer de classe et rencontrer de nouvelles personnes, ça lui permet de s’ouvrir et de s’apercevoir qu’elle n’est pas forcément que la suiveuse, qu’il n’y a pas forcément une chef de groupe non plus…

-Les décors dans l’album Celle que… sont-ils des lieux réels ? Ceux de votre ville ?
Plus ou moins. J’habite à Lille. J’ai été au lycée à Lille mais ce n’est pas celui qui est dans la bande dessinée, c’est un lycée inventé, j’ai mélangé le collège où j’étais dans le Sud avec le lycée que j’ai fréquenté ensuite dans le Nord ! Il y a par contre de vrais décors pris à Lille tel quel et d’autres que j’ai un peu arrangé à ma convenance. Je travaille parfois avec des photos mais je ne décalque pas, je m’en inspire ! J’avoue avoir décalqué des voitures parce que je suis nulle en voitures ! Je ne ferai pas une bande dessinée comme Michel Vaillant avec des courses de voitures !

-Combien de temps s’est écoulé entre chaque volume de la série ?
-En général, il me faut un an pour faire un volume. C’est ce qui s’est passé pour le volume 1 et 2. Entre le tome 2 et 3, par contre, comme j’ai dessiné le volume 3 de L’immeuble d’en face, deux ans se sont écoulés… c’était un peu long, mais je ne peux pas aller plus vite !

-Avant ce livre là, vous aviez déjà fait un livre ?
-Avant, j’ai fait cette série L’immeuble d’en face qui raconte le quotidien des habitants d’un même immeuble qui se croisent et qui commencent à se connaître. C’est en trois volumes, et c’est un peu plus adulte. Il y a un couple d’étudiants, une maman et ses enfants et un vieux couple avec un chien ! C’est aussi du quotidien, la vie de tous les jours, comme dans Valentine mais dans un autre milieu. J’ai également fait L’année du dragon avec François Duprat, un copain des Beaux Arts, qui m’avait écrit un scénario et c’est moi qui l’ai dessiné. Il était en couleurs !

-Pourquoi vous avez choisi ensuite le noir et blanc ?
-C’est une influence des mangas ! Parce que j’en ai lu beaucoup et que j’aimais bien ! C’est aussi un choix... Le fait de faire du noir et blanc permet de réaliser plus de pages : c’est moins cher à imprimer et moi, j’aimais bien l’idée d’avoir beaucoup de pages pour raconter mon histoire. Le format classique franco-belge, c’est 46 pages couleurs. Moi, je trouve que c’est trop court ! J’ai fait plutôt ici 4 fois 46 pages ! C’est aussi un choix personnel pour pouvoir raconter d’une certaine façon. Sur 46 pages, il y a des choses qui ne peuvent pas passer ! Suggérer, ralentir, prendre le temps… Voilà ces pages où on voit Valentine sous la pluie (c. volume 2), il ne se passe pas vraiment quelque chose. Cette mise en scène, ce n’est pas possible dans un format classique, cela prendrait trop de place par rapport au nombre de pages finales. Mais avec cette pagination, c’est possible. Le format d’ailleurs rappelle celui du manga, mais en plus grand, ça s’appelle en fait un format roman graphique. C’est moi qui ai demandé ce format à l’éditeur et il était d’accord ! Comme j’avais eu également ce format pour L’immeuble d’en face et que le titre avait bien marché, ça a dû le décider !

-C’était le même éditeur ?
-Non, pas du tout ! L’immeuble d’en face a été publié par La Boite à Bulle, une toute petite maison d’édition parisienne alors que celui là - Celle que…- est chez Dargaud, qui est une très grosse boite internationale ! Moi, je travaille avec l’équipe belge qui est à Bruxelles et qui est très sympa ! Et je vais probablement resigner un nouveau projet chez eux. Ce sera un recueil d’histoires d’amour, avec une technique de dessin très différente pour changer un peu. Parce que ça fait dix ans que je dessine de la même manière, j’en ai un peu marre ! En voici quelques pages…
-C’est de la peinture ?
-C’est de l’écoline, de l’encre de couleurs. Là, c’est une bichromie, c’est du noir dilué et de l’orange.
-Tout l’album sera dans cette tonalité ?
-Non, comme c’est un recueil, je pense que je vais changer de couleurs pour chaque histoire qui sera indépendante mais avec des personnages qui se croisent…

 

A propos du métier d’auteur de bande dessinée
-Comment travaillez-vous ?
-Je suis à la fois scénariste et dessinatrice. Souvent, dès le début, je mélange un peu dessin et scénario. Un scénario pour une de mes bandes dessinées ressemble à ça : une ligne du temps où je marque les évènements, les scènes que j’ai dans la tête dans l’ordre que j’estime être le bon. Parfois, ça arrive que je change… Pour chaque scène écrite, je découpe en brouillon avec à peu près le cadrage des cases et les bulles et dialogues esquissés. Rien n’est forcément définitif. C’est là que je décide combien de pages fera une scène.
Voilà des planches originales.


 
 
Papier A4, un papier ordinaire comme on met dans les imprimantes. Je travaille avec du feutre. Là, il n’y a ni bulles ni tour de cases. Je fais les cases au crayon puis après l’encrage des personnages, je gomme ces bords de cases. Je scanne ensuite ma page et je réalise cela –bulles et bord de cases- sous Photoshop.
-Et les trames ?
-Les trames aussi, c’est à l’ordinateur, sous Photoshop. On a plein de motifs différents et on choisit le plus adapté !
-Chaque dessin est donc passé sous Photoshop ?
-Oui, chaque page est scannée. Parfois, j’agrandis ou rétrécis des éléments. Voilà l’original et celle travaillée avec bulles, cases et trames.
-Combien de temps pour une page comme celle là ?
-Je passe environ deux jours pour une page comme ça. Ce n’est pas dessiner qui est long, de plus, mes pages ne sont pas très grandes et je n’ai pas beaucoup d’images par planches. Ce qui est long en fait, c’est trouver la bonne position ou la bonne expression du personnage qui corresponde à ce qui se passe dans la bande dessinée, c’est la mise en scène ! Parfois, on fait un beau dessin mais s’il ne correspond pas à ce qu’on raconte, ça ne sert à rien !

-Quel est votre rythme de travail ?
-Je travaille en atelier. Avec d’autres dessinateurs de bande dessinée, on loue un local où on va travailler tous les jours. On a fait des horaires –comme des gens normaux ! Du lundi au vendredi, 10h-19heures. Après, comme on est nos propres patrons, on fait ce qu’on veut ! En fait, en accord avec l’éditeur, on choisit un délai, un moment où on doit rendre toutes les pages pour qu’elles soient imprimées. L’éditeur programme une sortie en librairie, il faut respecter les délais pour que ça corresponde ! Après chacun organise son travail comme il l’entend. Moi, j’aime bien avoir un rythme comme les gens normaux, sinon après on ne sait plus quand on doit travailler ou pas ! Pour ce tome 3, comme j’avais pris beaucoup de retard parce que j’ai préparé d’autres projets avant, j’ai dû faire les trois quarts de l’album dans la moitié du temps, donc là, pas de vacances ni de week end pendant cinq mois ! C’est un choix personnel, c’est moi qui organise mon temps, et si je m’organise mal, et bien, c’est de ma faute !

Les relations avec l’éditeur
-En général, on ne se lance pas dans la réalisation d’une bande dessinée si on n’a pas un éditeur qui est prêt à la publier. Pour présenter un projet à un éditeur, on lui propose 3 ou 4 pages finies, le scénario écrit qui se présente comme un résumé, et puis les personnages avec leurs caractéristiques physiques et ce qui va leur arriver.
 


Voilà des personnages dessinés par François Duprat, l’ami avec qui j’avais fait L’année du dragon. Là, c’est pour notre prochain projet, c’est moi qui écris le scénario et c’est lui qui dessine. Vous voyez là sa recherche de personnages, avec des positions différentes ainsi que le descriptif des personnages. Voilà ce qu’on peut envoyer à un éditeur soit par mail soit par courrier. Après, on n’a plus qu’à attendre !
-Donc, vous ne dessinez pas la bande dessinée si vous n’avez pas de réponse ?
-Non, parce que faire un album, ça prend en général un an. Dessiner un an sans avoir d’éditeur, ça veut dire sans être payé… Ce n’est pas possible !
-Alors vous faites quoi en attendant ? Vous travaillez sur d’autres sujets ?
-Personnellement, j’ai d’autres petits contrats. Je fais des couvertures pour la collection Cœur Grenadine chez Bayard, je fais des affiches, des dessins pour la pub. Quand je fais des interventions comme aujourd’hui, je suis payée aussi. Il y a plusieurs façons d’utiliser le dessin pour gagner sa vie. Si un projet n’est pas retenu, il faut passer à un autre. Ca peut être très frustrant et très triste si l’histoire vous tient à cœur et qu’aucun éditeur n’est intéressé.
-Vous contactez combien d’éditeurs pour un projet ?
-Pour ma première bande dessinée, j’ai envoyé quinze dossiers à quinze éditeurs différents. J’ai reçu sept réponses négatives, six n’ont pas répondu et un a dit oui ! Alors, j’ai pris celui là ! Ca s’est très bien passé ! Mais c’est mieux d’avoir un peu le choix. C’est aussi une question de prix, l’éditeur peut vous dire oui mais s’il ne vous paye presque pas, ce n’est pas très intéressant pour vous !
-Combien et comment êtes vous payée?
-Je suis payée à la page ! Pour ces albums là du moins.
-Ah, c’est pour ça que vous en faites beaucoup (de pages)  !
-Non, ce n’est pas vrai car pour ceux-ci, c’était un forfait au livre ! En général, les auteurs de bande dessinée sont payés en avance sur droits. Ca veut dire que sur chaque album vendu, on gagne un pourcentage du prix de vente. Mais pour qu’on puisse vivre pendant qu’on fait la bande dessinée, on est payé en avance sur droits. Avance qui est déduite après la publication, c'est-à-dire que l’éditeur ne nous payera sur les ventes que quand il se sera remboursé l’avance qu’il nous a faite. Là, sur chaque album, je toucherai 1,50 euros. Il est vendu 14 euros.
-Ça ne fait pas beaucoup !
-On ne touche qu’1,50 euros sur chaque bande dessinée parce qu’il y a plein d’intermédiaires entre moi et vous ! L’éditeur prend une part pour son travail d’éditeur, il y a aussi l’impression, l’acheminement, le libraire, le stockage et après la TVA !
-Pour tous les livres, c’est comme ça ?
-Oui !
-Et le tirage de livres, ça se décide comment ? Vous avez votre mot à dire ?
-En fait, c’est l’éditeur qui décide en évaluant le nombre potentiel d’acheteurs. Dans les librairies, il y a un représentant qui passe et qui montre au libraire ce qui va sortir. Et le libraire décide combien il va prendre d’exemplaires de ce livre là, en fonction de ce qu’il sait de son public. Toutes ces informations remontent et l’éditeur fait un calcul de ces précommandes et il va ajuster en fonction son tirage. Pour le tome 1 de Celle que, le premier tirage était de 6000 exemplaires et puis au bout de 6 mois, l’éditeur a décidé de le réimprimer parce qu’il y avait toujours des commandes. Le deuxième tirage était de 2000 exemplaires, ce qui fait donc 8000 en tout pour ce volume. Quand le tome 2 est sorti, l’éditeur a décidé de tirer directement à 8000 exemplaires. Et là, le tome 3 est à 9.000 exemplaires. L’éditeur ajuste donc en permanence en fonction du public. Stocker des livres, ça coûte très cher et les éditeurs préfèrent réimprimer un titre plutôt que d’avoir des stocks de livres dans un hangar.

-Vos albums sont vendus en France et en Belgique ?
-Oui, ainsi qu’au Canada, en Suisse, dans tous les pays francophones. Il n’est pas encore traduit pour l’instant.

 

Questions diverses
-Est-ce que ça vous arrive de vous éloigner de la bande dessinée tout en restant dans le dessin ?
-Assez peu, car la bande dessinée m’occupe beaucoup ! Pourtant, faire des travaux de commandes comme par exemple des affiches ou des couvertures rapporte plus financièrement et plus rapidement. Mais ce ne sont pas des choix personnels, on vous donne des contraintes précises. Ma passion, c’est la bande dessinée, c’est ce que je préfère faire ! On est plus libre, c’est bien plus agréable !

-Est-ce que le cinéma d’animation, ça vous tenterait ?
-J’aimerais bien que mes bandes dessinées soient adaptées en dessin animé. Par contre, je n’aimerais pas travailler dessus. J’ai l’habitude de travailler seule ou à deux, en toute petite équipe, alors que le cinéma d’animation, ce sont des équipes énormes, avec plein d’intermédiaires. Et une idée, une fois qu’elle est passée par quinze personnes, en général, elle en ressort un peu dénaturée.

-Quels sont les auteurs qui ont été importants pour vous ? Les avez-vous rencontrés ? Vous êtes-vous inspirée de leur travail ?
-J’ai lu beaucoup de bandes dessinées, je ne me suis pas faite toute seule, beaucoup lu et beaucoup recopié. Comme j’étais fan de Thorgal, j’ai rencontré Rosinski, mais il est un peu inaccessible, c’est une grosse grosse pointure !

-Mais comment accède-t-on à la notoriété ?
-C’est surtout le public qui fait la notoriété d’un auteur ! Si vos livres sont beaucoup achetés, lus, alors le nom de l’auteur circule…
-Oui, mais c’est dur alors si votre histoire vous semble super et que le public n’accroche pas ?
-Oui, mais c’est le jeu !!! Il y a aussi des histoires qui ne touchent pas un grand public mais un public bien ciblé. Du moment que l’échange se fait avec ce public là, c’est bien. J’estime que tous les livres ont le droit d’exister même si le public est restreint.

-Y a-t-il de la concurrence dans votre métier ?
-Non, en général on est plutôt solidaires ! On ne se dit pas : « ah, Untel a fait une bande dessinée sur l’adolescence, moi aussi, je voulais en faire une, il va la faire mieux que moi ! Il va me prendre du public ! ». Au contraire, quand on fait des choses qui se ressemblent, on aime bien comparer, voir comment l’autre a été inspiré ! Il y a de la place pour tout le monde !

-Considérez-vous vos œuvres plutôt comme des mangas ou plutôt comme des bandes dessinées ?
Pour moi, c’est la même chose ! J’ai eu une influence manga à travers les dessins animés que je regardais quand j’étais plus jeune. Mais manga, ça veut dire bande dessinée en japonais, alors on est toujours dans de la bande dessinée. Les mangas ont néanmoins une spécificité : ils sont pré-publiés dans des magazines qui sortent régulièrement, tous les mois ou toutes les semaines, c’est un rythme très soutenu de publication. Alors que moi, ce n’est pas du tout le même rythme de parution. Alors, est-ce qu’on peut dire que c’est du manga ? Pas vraiment et je suis bien contente de ne pas avoir le rythme de parution des japonais, très intense !

-Est-ce que ça vous intéresserait de faire des bandes dessinées avec beaucoup de violence ?
-Tu veux dire avec du sang et des meurtres ?
-Oui !
-Non ! Je ne pense pas, je ne dis pas que ça n’arrivera jamais, mais pour l’instant, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus ! Tu vois, même quand je regardais les Chevaliers du zodiaque ou Olive et Tom, ce qui m’intéressait, c’était les scènes entre les combats ou les matchs ! C'est à dire les passages où les personnages vivaient leur vie de tous les jours. Ce sont ces moments là que je souhaite développer. Dans ma première bande dessinée, j’avais mis de l’aventure et des combats et au fur et à mesure, ces scènes se réduisaient pour laisser place au quotidien… Par contre, j’aime bien lire d’autres bandes dessinées dans des genres différents, mais moi, à dessiner, ce n’est pas ce qui me plait le plus.